Les jeux ne sont pas uniquement des objets de loisir. A l’instar de films ou de livres, ils peuvent instruire, éduquer, ou interpeller. Ils peuvent faire preuve de détachement par rapport à leur thème (voire l’ignorer totalement), le considérer avec cynisme, ou le prendre à bras le corps pour en faire apprécier toute la complexité à leur public. Ainsi, Flouk fait immédiatement penser au drame de ces réfugiés des pays en guerre, qui arrivent inexorablement et dont les pays d’accueil ne savent jamais trop quoi faire.
Le truc à bien garder en tête, c’est que Flouk n’a strictement aucune prétention socio-politique gauchisante façon « tous égaux », et encouragerait même une approche plutôt cynique et bassement matérialiste de l’accueil des réfugiés. Car Flouk, c’est d’abord une planète mourante, peuplée par 5 tribus distinctes, qui décident d’aller s’installer ailleurs. Ailleurs, ce sera la Terre, et les colons seront « pris en charge » par les autorités. Chaque joueur incarne le gérant d’un « village d’accueil » ou les extraterrestres sont stockés jusqu’à nouvel ordre. A charge pour lui de parquer le plus de réfugiés pour marquer un maximum de points.
Petite séance de brainstorming: comment transformer ce pitch proche de l’inhumanité pour en faire un petit jeu adapté à toute la famille? Réponse: en ajoutant des chatons. Bon, dans les faits, il ne s’agit pas vraiment de chatons, mais les peuplades les plus facilement mises en avant dans sur la boîte du jeu ou dans ses règles rivalisent de « kawaiitude » forcée dans la catégorie « petites boules de poils à câliner ».
Poils.
Ces 5 peuples sont répartis en cartes de différents types: les « Flouks » (les créatures sans pouvoir), les « Chefs Flouks » (créatures avec pouvoir), les « Actions » (à usage unique, comme d’hab’), et les « Décrets » (qui augmentent vos points gagnés en fin de partie). Globalement, la répartition et les pouvoirs des cartes sont bien équilibrés, tout en donnant à chaque peuple une identité claire: les Napils, toujours prompts à manger les autres Flouks, les Bloups et leur art de l’échange déséquilibré, les Moutas et leur instinct grégaire, les Paroks, des kleptomanes en puissance, et les Faars qui dominent la Mort.
L’impression à première vue est plutôt positive: les illustrations sont de qualité, les cartes sont lisibles, et on voit immédiatement ce qui se passe quand des cartes sont jouées. Petit bémol sur la répétitivité des illustrations (15 en tout qui se superposent pour donner l’illusion du nombre) et sur les à plats monochromes qui donnent un aspect mal fini à l’ensemble. En fait, c’est un peu ça le souci au niveau visuel: on a l’impression que le produit fini aurait été une « version de travail » prête à peaufiner chez un éditeur plus important.
Dents.
Ceci étant constaté, reste à voir comment ça se joue. Retournons donc gaillardement à nos considérations cyniques. Chaque joueur reçoit 4 cartes piochées au hasard, comme autant de contingents de réfugiés à parquer. D’emblée, il va en refuser deux pour les refourguer à ses voisins immédiats, et recevoir ce dont ces mêmes voisins n’auront pas voulu. Puis, tous les joueurs vont jouer une de leurs cartes face cachée, toutes les révéler en même temps et en appliquer les effets. Et vas-y que je te déporte un réfugié, que je t’en mange un autre, etc.
Cela se répète 3 fois, et la dernière carte de chacun (les réfugiés qui se sont vus refuser l’entrée des camps, donc) est défaussée. Vous voyez que l’aspect mignon des créatures prend tout son sens avec un tel déroulement de partie: faites exactement le même jeu avec des photos de rwandais et vous aurez un sacré paquet d’ONG sur le dos. Ajoutez à cette mécanique des petites subtilités comme le besoin d’avoir un Flouk du bon peuple pour jouer les Actions correspondantes, et vous aurez une bonne idée de l’ensemble du jeu.
Les Actions, l’air de rien, sont l’élément clé du jeu, qui le rendent foutrement intéressant. Sans révolutionner l’histoire des jeux, elles sont bien trouvées et permettent de chambouler facilement le jeu en cours, sans oublier les multiples crasses qui sont ainsi rendues possibles. Du genre, priver un joueur d’un Flouk clé qui doit lui permettre de jouer une carte importante par la suite, ou d’un Décret qui devait lui assurer un bon score final… Rien que pour cette composante et pour le fun qu’elle sait engendrer, Flouk devient une bonne pioche, qui ne donnera pas forcément envie d’enchaîner partie sur partie, mais saura se montrer intéressant tant qu’il sera sur la table.
FLOUK
Apparence: 13/20
Un package soigné et bien rempli, des illustrations très sympathiques (mais trop répétitives), par contre les à-plats unis un peu partout font à mon avis trop cheap.
Simplicité: 15/20
Les règles se comprennent assez vite, et cerner la dimension tactique de la chose prend un tout petit peu plus de temps, du genre, 2 ou 3 tours de jeu.
Fluidité: 15/20
Pas de souci, tout le monde joue en même temps et les résolutions d’actions sont rapides.
Immersion: 14/20
La mécanique ou l’univers en eux-mêmes ne sont pas exceptionnels, mais le rythme de la partie et les petites crasses & vengeances de chacun maintiennent à la table sans efforts.
Fun: 14/20
Ben justement, je parlais des petites crasses & vengeances… dans un univers indiscutablement mignon, c’est plutôt amusant, mais sans soulever les foules outre mesure. Les sadiques apprécieront le peuple des p’tites boules de fourrure blanches qui bouffent tout.
Clarté des règles: 16/20
Des règles assez simples, bien décrites, et transmissibles sans se ruiner le crâne. Une efficacité qui se fait au détriment de la personnalité de l’ensemble.
Accomplissement personnel: 11/20
La partie dépend beaucoup de la pioche (même si l’aspect « draft » gomme partiellement ce constat), la victoire revient globalement à celui qui a eu la chance de passer entre les gouttes plutôt qu’à celui qui a monté la meilleure tactique.
NOTE FINALE: 14/20
Un bon petit jeu involontairement cynique, que je classerai tout de même en « jeu d’ambiance » dans le sens où il pose sa patte sur l’atmosphère entre les joueurs le temps de la partie, mais sans propager son effet au-delà de cette partie. Reste un petit jeu plutôt mignon et plaisant à jouer de temps en temps, qui vous garantit un bon moment autour de la table. Et c’est bien là l’essentiel.